Astrochimie des disques protoplanétaires : du nouveau du côté ligne des glaces

Un groupe d’astronomes du Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux (Université de Bordeaux & CNRS), en collaboration avec l’IRAM, l’Université de Kiel et l’Université de Yunnan a permis de requestionner ce que l’on sait des lignes de glaces dans les disques protoplanétaires grâce à l’utilisation de modèles théoriques et de simulations numériques. 
 
La formation stellaire s’accompagne généralement d’un disque de gaz et de poussière entourant la jeune étoile. Il est communément admis que les premières phases de formation des planètes se produit dans ces disques. On parle alors de disques protoplanétaires. Cependant, les mécanismes de formation planétaire et l’évolution de ces disques restent encore obscurs car complexes et difficiles à observer.
 
La ligne des glaces joue un rôle particulièrement important puisqu’elle affecte directement la formation et la composition physico-chimique des embryons planétaires.
Une ligne de glace est une distance (à l’étoile) fictive en deçà de laquelle une espèce chimique se trouve sous forme de gaz et au delà de laquelle cette espèce se trouve sous forme de glace à la surface des grains de poussière contenus dans le disque (le disque étant devenu trop froid). Il existe autant de lignes de glaces que d’espèces volatiles puisque chaque espèce a sa propre température de condensation propre. Par exemple, pour la molécule de monoxyde carbone (CO), la molécule la plus communément étudiée dans les disques, cette température est de l’ordre de 20 K. 
 
Mais les récents travaux menés par l’équipe AMOR du Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux ont permis de revoir ce concept de ligne de glaces. En effet, les choses sont plus complexes car les grains de poussières ont grossi dans les disques. A la même distance orbitale, un gros grain (par exemple de taille centimétrique) sera plus froid qu’un grain de taille micronique.  Grâce à l’utilisation de simulations numériques de disques complexes composés de distributions réalistes de grains de poussières, les astronomes ont montré l’impact de cette dispersion des températures des grains en fonction de leur taille  sur la composition des manteaux de glaces et des réactions chimiques à la surface des grains et, par conséquent, sur les lignes de glaces dans les disques protoplanétaires.
Dans ce cas, la transition gaz-solide est progressive et peut s’étaler sur plusieurs unités astronomiques de rayon: l’étude parle alors de « bandes de glaces ». Ceci doit vraisemblablement impacter la composition des embryons planétaires.
 
Les calculs astrochimiques de modèles de disques protoplanétaires sont habituellement effectués en utilisant une seule population de grain de poussière censée imiter les effets de différentes populations contenues dans un disque réel. Cette nouvelle étude suggère que les modèles classiques ne permettent pas de reproduire les effets des températures des poussières sur la chimie et qu’il est nécessaire d’intégrer une distribution réaliste de grains (avec leurs températures respectives) dans les simulations pour mieux comprendre les observations. La figure ci-dessous présente l’impact sur la concentration en monoxide de carbone (CO), une molecule particulièrement sensible à la température des grains froids dans le plan du disque. L’image montre une comparaison de la distribution en altitude z/H* et distance à l’étoile r du CO entre deux simulations de disques, l’un comportant une seule taille de grain (gauche), l’autre contenant une distribution plus réaliste de grain (droite). Dans le modèle de gauche, l’équipe attribue la transition en abondance (rouge – bleue) à la transition franche de la température de la poussière. Dans l’autre modèle, l’étalement vertical de la température des poussières implique une transition plus progressive et une déplétion du CO en phase gazeuse plus faible autour du plan du disque.
 
 
 
Cette étude est exposée dans l’article « Impact of Size-dependent Grain Temperature on Gas-Grain Chemistry in Protoplanetary Disks: the case of low mass star disks » publié dans Astronomy & Astrophysics. L’équipe qui a conduit cette étude à été menée par S. Gavino (Bordeaux), ainsi que A. Dutrey (Bordeaux), V. Wakelam (Bordeaux), S. Guilloteau (Bordeaux), E. Di Folco (Bordeaux), W. Iqbal (South-Western Institute for Astronomy Research, Yunnan University), en collaboration avec J. Kobus (University of Kiel, Institute of Theoretical Physics and Astrophysics), S. Wolf (University of Kiel, Institute of Theoretical Physics and Astrophysics), E. Chapillon (IRAM) et V. Piétu (IRAM).
 
*Le terme H représente l’échelle de hauteur du gaz au dessus du plan du disque. Il est parametrisé selon la relation H0*(r/100au)**1.3 où H0 vaut 8.21 au et représente l’échelle de hauteur à r = 100 au.