Pourquoi Vénus n’a jamais eu d’océans

       Illustration de Manchu

Aujourd’hui, la surface de la planète Vénus est très hostile : L’atmosphère très dense et riche en dioxyde de carbone de la planète y fait régner une température de plus de 450°C où même des sondes robotisées peinent à survivre plus de quelques dizaines de minutes. On est bien loin des douces températures terrestres, qui ont été propices à la formation d’un océan et à l’émergence de la vie. Mais cela à-t-il toujours été le cas ? 

La question a longtemps été ouverte. En effet, peu après sa naissance il y a 4,5 milliards d’années, le Soleil était 30% moins lumineux qu’aujourd’hui. Et d’après certaines études, l’insolation reçue par Venus au début de son histoire aurait été assez faible pour permettre à la planète de conserver des océans liquides à sa surface. Dans ce scénario, les océans se seraient ensuite évaporés quand le soleil serait devenu assez brillant.

Mais ces océans ont-ils pu se former en premier lieu ? C’est sur cette question que s’est penchée une équipe de chercheurs du LAB, du LATMOS et de l’observatoire de Genève. Car les phases finales de la formation de Vénus et de la Terre sont une succession de collisions colossales entre protoplanètes qui vaporisent tout leur contenu en eau et fondent leurs roches. À la suite de chacun de ces impacts géants, la surface est un océan de magma à plus de 1500°C sous une épaisse atmosphère riche en vapeur d’eau. Ce n’est que si cette surface parvient à se refroidir suffisamment que la vapeur d’eau dans l’atmosphère peut se condenser pour former des océans lors d’un déluge qui dure des milliers d’années. C’est ce qui s’est passé sur Terre, mais qu’en a-t-il été pour Venus ?

Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont utilisé des simulations numériques effectuées sur un supercalculateur du Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur (CINES) avec un modèle climatique de pointe développé en France au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD), l’un des seuls capables de simuler en trois dimensions l’atmosphère chaude et riche en vapeur d’eau de jeunes planètes. Leur résultat majeur est que dans ces conditions, les nuages ont un comportement inattendu : ils tendent à recouvrir le côté nuit de la planète où ils forment un épais bouclier thermique qui empêche la surface de se refroidir. De plus, ils se forment peu du côté jour, réfléchissant très peu la lumière du soleil et chauffant très efficacement la planète. 

La conjonction de ces deux effets empêche l’atmosphère de se refroidir au-dessus d’un certain seuil critique d’insolation. Or l’insolation de Vénus a toujours été trop forte pour permettre la condensation de son atmosphère de vapeur en océan. On peut espérer que les trois futures missions spatiales récemment sélectionnées pour aller étudier notre voisine (Envision, Davinci, et Veritas) permettront de confronter ce résultat théorique à des données recueillies in-situ.

Les implications dépassent le cadre de Vénus : en effet, ces simulations climatiques montrent que l’insolation actuelle de la Terre est au-dessus de ce seuil : la planète ne pourrait plus se refroidir après une vaporisation importante de ses océans, par exemple par un impact violent avec un énorme astéroïde. Dit autrement, si la Terre avait reçu son insolation actuelle depuis sa naissance, nos précieux océans n’auraient jamais pu se former. Il semble que la faible luminosité du jeune Soleil, qui a longtemps été vu comme un obstacle à l’établissement de conditions habitables sur Terre, ait en fait été une condition nécessaire à celles-ci. Ce résultat est d’autant plus significatif que la majorité des exoplanètes découvertes à l’heure actuelle orbitent des étoiles qui n’ont pas eu cette phase peu lumineuse dans leur jeunesse. Le nombre d’exoplanètes pouvant posséder des océans d’eau liquide devrait donc être un peu plus faible que ce que l’on pensait précédemment. 

Publication : « Day–night cloud asymmetry prevents early oceans on Venus but not on Earth », Turbet, Bolmont, Chaverot, Ehrenreich, Leconte & Marcq, Nature (2021)